Alors que l’exploration et la découverte des territoires, au fil de l’histoire, a semblé un métier réservé aux hommes, on voit depuis quelques décennies apparaître une nouvelle espèce des temps modernes : la globetrotteuse.
Celle qui nous intéresse n’est pas une espèce rare ou particulière. Jeune, elle démontrait déjà la curiosité de parcourir le monde dans les livres. Elle voulait tout découvrir, tout lire. Elle était particulièrement attachée aux récits d’aventure. Ses premières amours furent L’Odyssée d’Homère et, plus tard, l’Histoire du juif errant de Jean d’Ormesson. Elle était fascinée par le concept du bout de la route, les plus hauts toits du monde, et l’idée d’aller se perdre pour se retrouver. Toute forme d’aventure était passionnante et tout était prétexte pour vivre avec délectation : de la découverte de nouveaux plats aux nouvelles odeurs. Chaque fois, elle revenait un peu ivre d’amour de ses voyages.
Avec le temps et les obligations, elle s’était attachée à une région de l’Est du Québec, et, au fil du temps, elle s’était sédentarisée – jusqu’à en oublier sa voix et éteindre le feu qui l’animait. Un jour, la vie l’amena en Italie. À travers les délices romains et la vue des plus belles cathédrales, elle s’est rappelée pourquoi c’était si important pour elle de voyager : expérimenter la distance et la relativité. Devant des paysages grandioses, nos problèmes nous semblent si petits!
La globetrotteuse ne faisait jamais rien à moitié! Elle s’est donc remise à voyager plusieurs fois par année, avec comme mission de tout voir, tout comprendre, et même, tout posséder. Elle tombait facilement en amour avec les paysages, les cultures, les gens. Jusqu’à s’imaginer d’autres vies possibles.
Un jour, la terre s’est presqu’arrêtée de tourner. Une pandémie mondiale a stoppé tous les globetrotteurs. La nôtre, de nature positive, a profité de l’occasion pour « cultiver son jardin », comme Candide. Elle a nourri son espace intérieur pour trouver son bonheur en elle, à défaut de pouvoir se mirer dans les grands espaces. Or, au bout de deux ans, elle avait encore une fois l’impression d’avoir perdu son feu intérieur, sa vraie nature nomade. Existait-il un juste milieu entre voyager à outrance, presque par réflexe, et savourer chaque destination comme un trésor? Et si, à l’avenir, elle considérait chaque destination comme la découverte d’une partie d’elle-même? Et si, de surcroît, c’était possible dans ces voyages de créer des liens qui permettent de changer un peu le monde, de construire une cathédrale, une brique à la fois. C’est ainsi que la globetrotteuse reprit son baluchon, investie d’une nouvelle mission du plus grand que soi, dans le but de redonner des parcelles de la vie grandiose qu’elle avait eu la chance de vivre.