Solange Malo était tenancière de la buanderie du village d’Eastman, il y a de cela, plus de cent ans déjà. Elle avait mis beaucoup de temps et de patience à bâtir sa réputation. “Un client à la fois”, se plaisait-elle à dire. Elle mettait de l’amour à laver, blanchir, repasser les tenues de ses clients...
Pendant les longs mois d’hiver, la clientèle, casanière, se faisait plus rare. Elle en profitait pour se dévouer à blanchir gratuitement les habits de ses clients moins fortunés, ou à organiser des battues pour ramasser les déchets au bord des grands chemins. Elle avait à cœur la propreté de son village, c’était là une mission qu’elle s’était donnée. Sa buanderie sentait si bon à la ronde que certains clients lui empruntaient des cintres pour suspendre leurs vêtements propres, afin qu’ils s’imprègnent de l’odeur des huiles essentielles que Solange utilisait dans sa lessive.
Le 1er novembre de l’an 1907, alors que Solange se préparait à recevoir les chics tenues de Noël des villageois, il y eut un accident terrible au village. Le pont ferroviaire d’Eastman, à peine érigé, s’écroula, entraînant la mort de deux chauffeurs et de deux ingénieurs. Le train transportait des raisins et, en quelques minutes, tout le village était rassemblé pour les ramasser et en faire provision. Solange était bien sûr du nombre, c’est même elle qui aperçut la première un jeune homme tentant désespérément de sortir de sous les décombres. Avec l’aide de quelques volontaires, elle réussit à le sortir. Son cœur d’un naturel généreux ne put s’empêcher d’accompagner l’homme mal en point jusqu’à l’hôpital.
Le jeune homme avait plusieurs blessures et Solange alla le visiter tous les jours pour prendre de ses nouvelles. Et, bien sûr, ce qui devait arriver, arriva. Elle finit par l’appeler par son petit nom, Gaston, tandis que celui-ci succomba à cette femme gentille et prévenante, qui s’appelait Solange et sentait si bon. Le jour où Gaston sortit de l’hôpital, elle apprit son nom de famille ... Blancheville. Il était le fils du propriétaire de la fabrique d’épingles d’Eastman!! Solange n’eut plus aucun doute ; le destin lui faisait un clin d’oeil.
Monsieur et Madame Blancheville eurent neuf enfants et l’odeur de leur bonheur se répandit dans tout le village d’Eastman.
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