Elle se nommait Marie-Ange Prud'homme, et la longueur de son nom n'avait d'égal que le long voyage qui l'avait emmenée par bateau en Nouvelle-France parmi une centaine de filles du Roy. Marie-Ange était étonnamment différente du lot, assez maigrichonne et sans cette constitution qui faisait s’exclamer les colons "bâtie pour la grosse ouvrage". C’est sa qualité de fileuse hors pair et sa volonté de s'établir sur une terre vierge qui lui avait mérité sa place sur le bateau. Issue d'une famille de paysans élevant des chèvres nubiennes dans la Haute-Savoie, elle nourrissait le désir secret de s’offrir un élevage de chèvres sur sa terre d’adoption. Heureusement pour elle, un homme qu'on appelait « bon Jean » la remarqua et la prit pour épouse.
Son rêve de posséder un élevage prit une autre tournure lorsque son mari lui présenta les cultivateurs voisins qui s’empressèrent de lui apporter de la fibre de lin afin qu’elle tisse des poches utiles au transport des denrées alimentaires. Son salaire se résumait à échanger des poches vides, contre des poches pleines. Et bon Jean semblait heureux de voir s’accumuler les poches de carottes, de patates et de navets, denrées précieuses en ces hivers rigoureux.
Une nuit, elle se réveilla en sursaut, ayant cru entendre des clochettes. Était-ce celles au cou des chèvres qu’elle rêvait de posséder ? Harassée de fatigue, elle se rendormit. À l'aube, comme tous les jeudis, elle se rendit au marché où elle offrait sa fabrication artisanale. Ce matin-là, un homme lui remit quatre poches de denrées au lieu de trois, précisant que la qualité du filage valait cet extra. De retour à sa cabane, elle découvrit que l’une des poches contenait de belles amandes fraiches. Sans se poser plus de questions, Marie-Ange engloutit des poignées et des poignées d'amandes, ce goût la ramenant dans la cuisine de sa mère et l’odeur des brioches chaudes. Marie était aux anges!
La nuit suivante, elle entendit de nouveau des sons de clochette. Dès le saut du lit, sa gourmandise la ramena près de sa poche d’amandes. Qu’elle ne fut pas son étonnement en découvrant que celles-ci s’étaient transformées en des écus brillants !! C'est ainsi que bon Jean et Marie-Ange devinrent les heureux propriétaires d’un troupeau de chèvres, et qu'ils vécurent en santé grâce aux innombrables bienfaits du lait de chèvre.
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