Il était une fois un amant des lettres qui griffonnait des poèmes jour et nuit, rêvant de connaître la gloire d’un Verlaine, de Rimbaud ou d’un Nelligan. À l’affût d’histoires tristes et dramatiques, il allait jusqu’à saboter ses relations amoureuses pour se donner la matière première pour sa poésie. Mais, malgré tous ses efforts, il n’arrivait pas à écrire un texte qui le satisfasse.
Il se mit alors à lire, dévorant des recueils de poèmes à toute heure du jour et de la nuit. « À force de lire, je vais trouver l’inspiration » se répétait-il. Malgré la constance de ses efforts, il se buttait à la page blanche. Et plus il s’entêtait à trouver l’inspiration, et plus il s’isolait, et plus le monde entier l’irritait ! Il désespérait de ces gens manquant de la plus élémentaire culture, rageait devant ces énergumènes qui préféraient cultiver leur corps plutôt que leur esprit. Il finit par en perdre l’appétit, puis, le sommeil. De plus en plus anxieux, il griffonnait des lignes n’importe où et n’importe quand, son esprit de plus en plus perturbé par de terribles obsessions sur le sort de l’humanité.
Un matin, alors qu’il n’avait dormi, comme à chaque nuit, qu’une ou deux heures, il décida que c’en était assez. Déterminé à mettre fin à sa souffrance dévorante, il alla consulter le druide du village. Celui-ci, comprenant rapidement que l’être devant lui était en proie à un début de névrose, lui conseilla un mélange d’huiles essentielles de lavande et de lime, aux vertus toniques et apaisantes.
Le Poète suivit sa prescription à la lettre, et fit un grand usage de ces huiles essentielles. Peu à peu, il sentit ce qu’il n’avait pas senti depuis longue date, un certain calme et un début de sérénité. Il en vient à réaliser qu’à force de lire les mots des autres, il n’entendait plus sa propre voix. Il choisit de tenter l’expérience de vivre, au lieu de lire. À regarder autour de lui, il tomba amoureux, partit en voyage, fit de longues marches en forêt, contempla les saisons qui changent, observa la nature dans ses plus infimes détails. S’épanouit en lui une passion pour l’horticulture qui le poussa à consigner soigneusement ses précieuses observations. De ligne en ligne, l’œuvre se bonifia et devint incontournable pour les horticulteurs en herbes, ainsi qu’à tous les amateurs de poésie.
Ce recueil fut finalement encensé, et notre poète connut la gloire, cette gloire qui maintenant le laissait quelque peu indifférent puisqu’il avait trouvé le bonheur de vivre.
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